Marie-Sarah Adenis

"Le réel et son double"

Marie-Sarah Adenis

La forêt chromosomique représente l’ADN contenu dans chacune de nos cellules et prend la forme de 46 colonnes suspendues portant l’ensemble de nos 30 000 gènes. Les gènes dont la fonction est la plus saisissante sont mis en avant pour chacune des colonnes qui se retrouvent ainsi investies d’une aura particulière. Que ces gènes nous protègent face aux maladies, qu’ils structurent l’architecture de notre corps ou qu’ils permettent notre sensibilité au monde, tous font écho aux grands récits mythologiques. La puissance narrative de ces derniers apportent une épaisseur et une profondeur à la lecture technique et scientifique de l’ADN.


Les colonnes deviennent le réceptacle métaphorique d’un nouveau couple, génomique et mythologique. Ce couple entre en dialogue sous nos yeux, se donne la réplique, et nous invite à des noces inattendues. Ce qui nous arrive est en partie expliqué par la singularité de nos gènes, mais c’est au contact des grands récits sécrétés par les civilisations du monde entier qu’il devient possible d’appréhender nos existences dans toute leurs complexité : parfois absurdes et injustes lorsque nos gènes dérapent, mais le plus souvent complètement sublimes si tant est que l’on soit capable de voir nos facultés élémentaires comme des pouvoirs extraordinaires : pouvoir d’entendre les sons, pouvoir d’imaginer ou encore de donner la vie.

En se dressant devant nous, les colonnes offrent un face à face avec nous-mêmes et fonctionnent comme des objets de projection qui permettent de se relier à ces dimensions intimes qui gouvernent et influencent une partie de ce que nous sommes. Chacun peut alors inventer une manière de se relier à son génome et de tisser une relation particulière avec lui dans le temps, en fonction des événements. On pourra louer le chromosome pour une dimension précieuse de nos vies, ou s’y confronter pour une dimension défaillante, comme dans une catharsis. Entre objet de culte, talisman biologique, trophée intime ou ex-voto, les colonnes chromosomiques deviennent le recueil stratigraphiques de mythologies devenues désoxyribonucléiques.